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Quelle est la différence entre un écolier et un « non sco » (non scolarisé) ? Le premier se réveille plus ou moins douloureusement le matin pour aller en classe. Le second « s’éveille ». Sans sonnerie, comme les deux filles de Julie, une ancienne prof, qui a décidé à leur naissance qu’elles n’iraient pas à l’école.
Ils sont près de 19 000 en France (0,2% de la population en âge scolaire) à être « instruits » par leurs parents. Ces derniers ont réglé, sans syndicats ni politiques, la question des rythmes scolaires et du raccourcissement des vacances. Tout le monde ne le sait pas, mais l’école en France n’est pas obligatoire, c’est l’instruction qui l’est. Mais eux s’estiment victimes de suspicion de la part de l’Education nationale qui n’apprécierait guère, dans le fond, que ces enfants apprennent en jouant et passent des après-midis à se promener avec leurs parents.
Rue89 a passé une journée avec des « non sco » à Vauréal (Val-d’Oise) pour comprendre qui sont ces parents ayant décidé de se passer de l’école. Des mères, et un grand-père.
Ce matin, tout le monde joue à chat
Ce lundi matin au complexe sportif Marcel-Paul, une quinzaine d’enfants participent à l’atelier cirque, accompagnés de leur mère.
L’animateur lance un jeu de chat perché. A son signal, tous se dispersent en courant – enfants et parents. Participer à tout ce que font les enfants est l’une des premières motivations des parents qui ont choisi l’instruction en famille (IEF). Julie Buisson, 38 ans, a deux filles de 4 et 8 ans :
« Je veux leur montrer que les adultes ne savent pas tout. Qu’on n’est pas omnipotents, qu’on échoue aussi. Vous voyez, ça m’a pris un an pour réussir à jongler avec trois balles ! »
Ancienne prof d’histoire et de géographie, elle a décidé dès leur naissance que ses filles n’iraient pas à l’école. Après avoir lorgné du côté d’écoles dites « alternatives » comme les établissements Steiner (coûteux), elle a finalement abandonné son emploi pour se consacrer à plein-temps à l’éducation de ses enfants.
Pour elle, l’IEF est avant tout un moyen de mieux connaître ses filles, et d’aider ses filles à mieux se connaître.
« Je leur enseigne très peu. Le but, c’est de multiplier les rencontres pour faire émerger des questions, auxquelles on va répondre après. »
Des sorties sont organisées avec d’autres « non sco », avec des tarifs de groupe, par le biais d’associations comme Les Enfants d’abord. Pour Julie, il s’agit plus « d’accompagner » l’enfant, plutôt que de lui faire la classe.
Elle s’est formée aux méthodes d’apprentissage hors les murs. Elle utilise, entre autres :
- le manuel des Alphas ;
- les réglettes Cuisenaire ;
- la méthode des frères Lyons.
« Il faudrait faire tout changer en profondeur »
Chantal – le prénom a été changé –, mère de deux enfants, est restée prof de SVT au collège, à temps partiel. Elle parle de sa classe :
« Les enfants ne sont pas tous égaux et n’ont pas le même rythme d’apprentissage. Il y a des jours, j’ai à peine posé la problématique de mon cours que certains connaissent déjà les réponses. »
Selon elle, les élèves devraient bénéficier d’un enseignement personnalisé dès le secondaire, afin de renforcer leurs points forts et d’aller vers ce qui leur plaît, notamment vers les disciplines extrascolaires.
La réforme des rythmes scolaires ne va-t-elle pas permettre d’insuffler une ouverture dans les enseignements classiques ? Elle rit franchement, soupire. Elle n’y croit pas. « Il faudrait faire tout changer en profondeur », pour que ça marche.
N Chantal, ni aucune des familles interrogées ne s’affirme ouvertement anti-école ou anti-Education nationale. Ils évoquent plutôt une offre éducative pas adaptée à leurs enfants.
Pour Audrey – qui préfère en rester au prénom –, 35 ans, formée à la pédagogie Montessori, l’école classique crée une compétition entre les élèves, empêche l’enfant de se développer à son rythme. Et surtout, elle juge les emplois du temps mauvais pour la chronobiologie de sa fille, à commencer par la contrainte du réveil le matin.
Titouan : jeux vidéo et Bibliothèque verte
Titouan, 8 ans, est instruit par ses parents et son grand-père depuis le CE1. Son grand-père évoque une institutrice rigide et peu pédagogue. De l’école, le garçon retient cela :
« L’école, ça empêche d’apprendre. Ça vous brusque. »
Il aime la lecture, « Beyblade », le skate, le hip-hop, les jeux vidéo (entre autres). Il a découvert la Bibliothèque verte : il en a dévoré plus d’une vingtaine de tomes en quelques jours. Il déteste les maths : ses parents le font travailler quand même régulièrement, par séances de 30 minutes à une heure.
Comme la quinzaine d’enfants présents ce matin, le plus clair de ses journées reste consacré aux activités culturelles, sportives et extrascolaires.
La plupart de ses amis ont l’école à la maison, comme lui, mais il garde des copains scolarisés.
Difficiles inspections pédagogiques
Les familles pratiquant l’IEF font l’objet de deux contrôles :
- une « enquête » de la mairie tous les deux ans, qui vérifie que l’enfant est instruit et épanoui socialement ;
- une inspection pédagogique annuelle, à partir de 6 ans, effectuée par les inspecteurs de circonscription de l’Education nationale. Les mêmes qui passent dans les établissements scolaires classiques.
Le contrôle annuel, selon la loi de 1998, doit jauger les progrès de l’enfant en vue de répondre aux exigences du socle commun, unique épreuve obligatoire pour les élèves non scolarisés. Théoriquement, l’inspecteur prend rendez-vous avec la famille, se rend au domicile des parents et s’entretient avec parents et enfant avant de rédiger un rapport.
A ce cadre s’est ajoutée une circulaire en 2011, donnant de nouveaux droits aux inspecteurs académiques. Parmi ceux-ci, la possibilité de tester l’enfant en cas – et uniquement – d’incertitude sur ses progrès, ou encore de s’accompagner d’un psychologue scolaire. En outre, la loi et la circulaire sont laissées à l’interprétation des fonctionnaires de l’Education nationale.
Carole – qui préfère aussi en rester au prénom – habite Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), elle a été inspectée en avril dernier pour Marine, sa fille de 8 ans. Elle raconte :
« On avait envoyé un dossier de 60 pages au préalable, présentant tous les acquis de Marine, on ne voulait pas qu’elle soit directement évaluée. Ils sont arrivés à deux, l’inspectrice n’avait pas annoncé qu’elle serait accompagnée. Ils ne voulaient pas discuter, ils voulaient voir Marine. Elle leur a parlé de beaucoup de choses.L’inspectrice lui a coupé la parole : “Je veux savoir si tu sais lire.” Elle sort une histoire des Alphas, trop dure pour elle. Elle lit une phrase au hasard, refuse de continuer. L’inspectrice l’a soupçonnée de l’avoir apprise par cœur. On avait une amie qui était présente et prenait des notes, l’inspectrice n’a pas apprécié. Elle est partie furieuse... »
Elle et plusieurs autres parents déplorent un climat du suspicion :
« Ils viennent avec des a priori, ils se croient en classe. La prochaine fois, on a l’intention de prendre un huisser. »
En cas « d’entrave au contrôle », l’inspecteur peut dénoncer la famille au procureur de la République. Avec à la clé, des bras de fer judiciaires de longue haleine.
« Ils ont une norme, on doit se soumettre »
« L’expérience des contrôles s’est durcie », pour Charlotte Dien, auteure d’« Instruire en famille » (éd. Rue de l’échiquier, à paraître), depuis que lacirculaire de 2011 « a ajouté des termes d’acceptation plus larges que la loi » :
« Le “refus du contrôle”, ou “entrave manifeste à son déroulement”, est une invention de la circulaire par rapport à la loi. Mais quand ils refusent que l’enfant soit évalué, les parents sont dans le cadre de la loi !De même, la loi dit que l’inspecteur doit vérifier si l’enfant reçoit une instruction, mais jamais n’apparaît le mot “test” dans la loi. »
Devant la diversité des cas et des pédagogies, l’Education nationale se raccroche tant bien que mal à ce qu’elle connaît : tests, notes, grilles d’évaluation, théorèmes. Charlotte Dien :
« Quand ils se retrouvent face à des parents qui pratiquent la pédagogie Montessori, ce sont des Martiens pour eux ! Tant que l’inspecteur est ouvert à d’autres méthodes pédagogiques, ça va. Mais dès qu’il a décidé de se conformer aux programmes, ça se passe plus mal. »
Et en cas de litige, l’ascendant est clairement du côté de l’inspecteur :
« Eux ils ont une norme, nous on doit se soumettre. et il n’y a pas de communication possible. Le circulaire leur dit : “Vous avez tous les droits.” »
« Il faut qu’il y ait une relation de confiance »
Evaluer un enfant qui ne va pas à l’école : plus facile à dire qu’à faire, selon un fonctionnaire de l’Education nationale en charge des questions relatives à l’IEF :
« Le contrôle des connaissances de l’enfant est absolument obligatoire. Pour évaluer il faut bien faire faire à l’enfant quelques exercices, pour vérifier si grosso modo il est instruit. Globalement ça se passe très bien. Mais dans certains cas, on a des familles braquées de façon presque naturelle contre l’Education nationale. Dans d’autres cas, il y a incompréhension entre les parents et l’inspecteur, ou alors certains parents ont l’impression d’être fliqués parce qu’ils n’évaluent pas leur enfant. Mais on est là pour vérifier les droits de l’enfant, uniquement. Pas des parents. »
La circulaire, plutôt que d’avoir durci les conditions de contrôle, a plutôt « précisé les choses » selon lui :
« Il y a un gros flou dans la loi. [...] Elle [la circulaire, ndlr] rend l’inspecteur plus crédible et lui facilite le contrôle, qui n’est pas évident quand il est confronté à des gens qui sont parfois contre toute forme d’autorité. »
Le fonctionnaire l’admet, le déroulement de l’inspection dépend du caractère de l’inspecteur. Mais ce flou a les qualités de ses défauts, et permettrait à l’Education nationale de faire face au cas par cas :
« Il y a une grosse souplesse, chacun interprète la circulaire à sa manière. Mais le contrôle ne valide pas un niveau, ce n’est pas l’inquisition, c’est un dialogue, un entretien. Nous sommes là pour répondre aux questions des parents. Il faut qu’il y ait une relation de confiance. »
rue89
Sandrine L.
http://amourdenfantsetief.blogspot.fr
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