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Michel Drucker se souvient...



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Photo: © Collection Michel Drucker 
Ils affichent tous un parcours sans faute. Que ce soit à la télévision, en politique, au 7e art ou dans la gastronomie. Mais quelle expérience gardent-ils de l’école de leur enfance ? Entre bonnet d’âne et prix d’excellence, y ont-ils acquis des valeurs indestructibles ? Rencontré d’inoubliables professeurs ou traversé les pires épreuves de leur vie ? A l’heure où la cloche reprend du service dans tous les préaux de l’Hexagone, interrogation écrite avec Michel Drucker...
Michel Drucker, 68 ans
Animateur
“L’école demeurera 
un cauchemar jusqu’à 
la fin de mes jours.”

Pour moi, l’école demeure et demeurera un cauchemar jusqu’à la fin de mes jours ! Toute mon enfance, mon père m’a répété cette phrase lancinante : « Michou, qu’est-ce qu’on va faire de toi ? » De 8 à 17 ans, j’ai passé mon temps… à ne rien faire. Et cela fait quarante-huit ans que je m’échine à combler ce trou béant. Pourquoi un tel fiasco ? Parce que pas un prof ne m’a intéressé et que mon père me traumatisait. Les appréciations des professeurs se succédaient, déconcertantes de banalité : « absent même quand il est là », « bonne volonté, mais manque de concentration », « ne s’intéresse pas à ce qu’on lui dit », « n’écoute pas », « indiscipliné »…

Ah ! Si j’avais eu Fabrice Luchini comme professeur de français, j’aurais dévoré Céline et connu La Fontaine à 16 ans. Si Castelot, Decaux ou Lorant Deutsch m’avaient enseigné l’histoire, j’aurais été un crack. Mais la pédagogie de l’époque restait désespérément abstraite. Quand plus tard, à l’âge de 30 ans, je préparais l’interview de Simone de Beauvoir, ma mère, sachant mes lacunes, s’était exclamée : « Mais qu’est-ce que tu vas lui dire ? » Je lui ai répondu : « Mais, Maman, je vais lui parler simplement, lui demander qu’elle m’explique ce qu’est le féminisme, et il n’y a pas de quoi emmerder la France entière, parce qu’elle est professeur de philosophie et qu’elle couche avec Sartre ! »
Bref, pour en revenir à l’école, je ne rêvais que d’une chose : échapper enfin au ciel invariablement plombé de Vire (Calvados) où nous habitions. L’été, pas question non plus de souffler : une répétitrice me donnait des cours de rattrapage de 14 à 17 heures. Interdiction de me baigner avant la fin de la journée. Faire travailler du 15 juillet au 15 septembre — les vacances duraient alors trois mois — un gosse qui sort d’une année cauchemardesque était tout simplement inhumain. Résultat : j’ai pris en grippe les intellectuels, les enseignants, les universitaires, trouvant refuge au milieu des cancres, comme moi. Même mes premiers flirts ont été des cancres. Seules les dernières de la classe, les filles d’ouvriers, de paysans m’attiraient. Je haïssais les filles bourgeoises. Toute mon enfance, j’ai donc été un gamin déprimé. Mon père, médecin, m’a fait consulter un psy… à 10 ans ! J’ai dû remplir des tests auxquels je ne comprenais strictement rien et ne faisais aucun effort pour montrer que je pouvais m’améliorer. Au contraire, je jouais encore plus les débiles que d’habitude. Conclusion du psy : « Ce n’est pas la peine d’insister : inapte à tout effort intellectuel. A orienter immédiatement vers une profession manuelle. »
Mes meilleurs souvenirs, je me les suis donc forgés hors de l’école, quand j’ai décidé d’écrire ma vie à partir d’une page blanche. La télévision fut mon école secondaire, mon université. J’y suis entré à 20 ans et c’est là que j’ai commencé à travailler sérieusement, à me secouer intellectuellement. J’y ai découvert les seuls professeurs qui ont changé mon existence et auprès desquels j’allais enfin obtenir de « bonnes notes » : Léon Zitrone, Pierre Desgraupes, François Chalais, Pierre Sabaggh, Georges de Caunes… Ces monstres sacrés du petit écran m’ont enseigné la polyvalence, l’éclectisme, le sérieux, la rigueur, la mémoire, la puissance et l’amour du travail bien fait — sans Internet, ni les portables, ni les blogs…
« Nul ne guérit de son enfance », chante Jean Ferrat. Comme c’est vrai ! Je travaille autant aujourd’hui qu’à 20 ans, alors que je pourrais lever le pied. J’attaque cette rentrée la 47e saison de télé, je rempile à la radio, connais le métier par cœur, mais dès la mi-août l’angoisse m’étreint comme au premier jour. Car la rentrée télévisée aura toujours ce parfum de malaise lié à mes rentrées scolaires. Pourtant, je crois que mon père aura finalement été fier de mon parcours. Lui qui voulait que je sois médecin, comme lui, est hélas! parti avant de me voir interviewer les personnalités qui l’auraient le plus intéressé : des politiques, des écrivains, des philosophes. Les chanteurs et les sportifs, ce n’était pas son truc ! 


 
 
 
Sandrine L.
http://amourdenfantsetief.blogspot.fr   
   
 
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